Tsurikomi (structure), shinogi et niku
Il existe de nombreux types de lames, à commencer par leur structure : la dimension des différentes arrêtes, les angles qui les lient...
La composition physique de la lame (types d'aciers, composites tel que le kobuse etc) ne sont donc pas les seules variantes de structure pour une lame japonaise. Vous avez par exemple peut être déjà entendu parler de lames en Shinogi-zukuri. C'est aujourd'hui la forme la plus courante, mais cela n'a pas toujours été le cas. Cet article a pour but de décrire les différents types de structures. Comme nous savons que beaucoup de pratiquants viendront sur cette page, nous avons décidé d'y ajouter un chapitre sur les niku et largeurs de shinogi en début d'article, chapitre qui sera sans doute d'une grande utilité si vous pratiquez la coupe.
Largeurs de shinogi et niku
Ces deux caractéristiques modifient clairement la capacité de coupe d'une lame.
Le shinogi est l'arrête longitudinale proche du mune (dos) :
On parle alors couramment de shinogi larges ou fins, par abus de langage. L'inclinaison du shinogi modifie l'épaisseur sur shinogi-ji et de l'hira-ji (voir lexique) et surtout un shinogi peu incliné (shinogi fin, ou shinogi Hikushi, par opposition au shinogi Takashi) rendra la lame plus incisive, mais moins résistante aux chocs. Une image vaut mieux qu'un long discours, voyez plutôt :
Certains types de structures, comme le hira-zukuri (voir plus bas) ne possède tout simplement pas de shinogi. La lame est alors très tranchante, mais elle devient aussi véritablement faible et peu résistante.
Un autre élément, est le niku. Techniquement, on peut le désigner comme étant la courbure de la surface au niveau du hira-ji (voir lexique). Là encore, une illustration vous donnera une meilleure idée :
Vous vous en doutez, l'impact sur la capacité de coupe est là aussi très important. Un niku important rend la lame très résistante, c'était très utile à l'époque face aux armures. Un niku faible rend le tranchant plus fin (après le fil) et donc l'arme plus agressive. Un niku important avait aussi l'avantage de faire des blessures plus larges et donc plus décisives lors des combats. Notez que techniquement, on parle des flancs de la lame (shishi), distinguant les lames avec niku en nommant les flancs comme étant des Ari-shishi, et sans niku comme étant des Nashi-shishi. Une fois de plus c'est par abus de langage que l'on dit "avec" ou "sans" niku. Il y en réalité toujours un niku. Un niku plat ("sans" niku) sera appelé Hira niku kareru. Un niku bombé sera nommé Hira niku, et un niku creux Hira niku tsuku.
Alors que choisir ? Car bien qu'aujourd'hui on n'ai plus à frapper sur une armure, voiler une lame reste possible. Dans le cadre d'une pratique habituelle (nattes de bambou pour le tameshigiri), un katana avec shinogi fin (qu'on appelle parfois shinogi « classique ») et niku classique (on dit parfois aussi sans niku, par abus de language) convient très bien. Si vous êtes débutant, il peut surtout être important d'éviter les gorges (bohi) qui diminuent l'épaisseur du shinogi-ji et donc sa résistance aux chocs. Vous pouvez donc partir du principe qu'un shinogi classique et l'absence de niku améliorera la qualité de votre pratique.
Si nous sortons du cadre de la pratique, il faut noter que la présence de shinogi large ou de niku sont caractéristiques d'écoles de forges, ou de périodes de l'histoire du Japon. Les shinogi importants étaient caractéristiques du style Yamato, et des écoles associées (Uda, Mihara, Nio, Kongobei, Naminohira). Certains forgerons sont aussi connus pour avoir forgé leur lames avec des shinogi larges. Les écoles Osafune (du milieu de la période Kamakura), Kozori, et Ichimonji forgeaient en général leurs lames avec un shinogi fin. Les niku importants étaient eux très prisés lors du milieu de la période Kamakura. Ces niku diminueront lors de la période Nanbokucho.
Les structures (Tsurikomi)
Hira-zukuri
Ce type de structure ne possède pas de shinogi ou de yokote (voir les deux premières photographies de l'article), qui sont des arrêtes aujourd'hui presque systématiquement présente sur les sabres modernes.
Le hira-zukuri est apparu surtout lors de la période des Tachi. Les tanto et ko-wakizashi forgés à la fin de la période Heian (vers 806) était souvent de cette structure (un ko-katana ou un ko-wakizashi est une version « entre deux » en quelque sorte, avec une lame plus courte qu'un katana ou un wakizashi habituel). En général, lorsque l'on dépasse 35 cm de nagasa (longueur de la lame sans courbure), ce genre de construction n'existe pas. C'est sans doute la construction la plus ancienne, réservée donc aux lames courtes. Cependant, quelques lames longues datant d'entre 1350 et 1550 ont été retrouvées avec cette structure, comme voulant imiter le style des anciens sabres.
Un nihonto en Hira-zukuri
Kiriha-zukuri
Une version évoluée du Hira-zukuri, avec un équivalent de shinogi (la longue arrête des photographies précédentes) très proche du tranchant de la lame. Tout comme le Hira-zukuri, c'est une forme très ancienne.
version avec yokote
version sans yokote
Nihonto en Kiriha-zukuri de la période Heian (794-1099)
Katakiriha-zukuri
Cette forme très particulière possède deux faces différentes. L'une en Hira-zukuri ou Shinogi-zukuri (moins courant) ou bien Shobu-zukuri et l'autre en Kiriha-zukuri. Ce type de structure daterait de la fin Kamakura (1288-1334), et nombre de sabres de ce style furent forgés au début de la période Edo (1596-1643) puis plus tard à la fin de cette même période. Certains historiens pensent néanmoins que cette structure serait plus ancienne, et serait apparue vers la période Nara (710-794). De nombreux grand forgerons nous ont laissés des lames de cette structure. C'est le cas de Kanemitsu, Sôshû Yukimitsu et Sadamune, Awataguchi Kunitomo, ou encore plus récemment lors de la période des shin-shinto Gassan Sadakazu, Suishinshi Masahide et Taikei Naotane.
Forme Kiriha-zukuri pour une face, et Hira-zukuri pour l'autre
Forme Kiriha-zukuri pour une face, et Shinogi-zukuri pour l'autre
Moroha-zukuri
A la manière d'une épée et non d'un sabre, ce type de structure possède deux tranchants. Cette forme de lame est surtout visible sur les sabres de la période Nara (710-794) ainsi que les tantos forgés après les milieu de l'ère Muromachi (1467). La plus-part du temps ces tantos étaient droits et forgés dans la province de Bizen. Le Kogarasu maru est le plus connu des sabres de cette structure, forgé par Amakuni Yasutsuna.
Shinogi-zukuri
Cette structure, aussi parfois appelée hon-zukuri, possède cette fois-ci un shinogi comme on le connait, c'est à dire proche du mune (dos de la lame) et non du fil de la lame (hasaki). Elle est aussi constituée d'un yokote (arrête délimitant la pointe ou kissaki) et d'un sori (courbure). Ce type de katana est apparu après la période Heian, vers 987, et est encore aujourd'hui le type de sabre le plus représenté, pour les katanas et wakizashis (jamais pour les tantos).
Shobu-zukuri signifiant « feuille d'iris »
Le shobu-zukuri est une variante sans yokote du shinogi-zukuri. Beaucoup de tanto et wakizashi de la période Muromachi étaient forgés avec cette structure.
On voit bien sur cette image l'absence de yokote (arrête transversale délimitant la pointe)
Kissaki-moroha-zukuri
Comme vous l'aurez peut être deviné, cette structure possède une pointe à deux tranchants, alors que le reste de la lame est constitué d'un dos (mune) non tranchant comme la majorité des autres structures. Il en résulte une lame ayant une pointe (kissaki) très proche de l'aspect des épées occidentales. Ce style est apparu à la période de Nara (708-781). On parle aussi parfois de Kogarasu-maru-zukuri, en référence au katana Kogarasu-maru, trésor de la famille Heike (plus grande famille militaire de la période Heian) qui était de cette structure.
Kanmuri-otoshi-zukuri
La partie basse de la lame est en shinogi-zukuri (la forme donc la plus présente pour les katanas modernes ou d'entraînements) ou plus rarement hira-zukuri (sans yokote ni shinogi pour rappel). A mesure qu'on se rapproche du kissaki, le shinogi-ji s'affine (voir lexique du katana) et la partie haute devient similaire à la structure shobu-zukuri. Nombre de sabres de ce style étaient forgés au début de la période Kamakura (après 1182) dans la province Yamato.
U-no-kubi-zukuri signifiant « cou de cormoran »
Cette structure particulière est basée sur le kanmuri-otoshi-zukuri, si ce n'est que vers le kissaki, la structure reprend sa forme initiale. Comme le kanmuri-otoshi-zukuri, il est donc basé sur un shinogi-zukuri, ou plus rarement sur un hira zukuri.
Osoraku-zukuri signifiant « peut être »
Ce type de structure possède un kissaki très long, plus important que la partie basse de la lame. C'est un type de kissaki que l'on trouve très rarement, sur certains tanto et wakizashi . Cette structure a été crée par Shimada Sukemune.
Comme vous pouvez le voir le kissaki est véritablement long, ce n'est absolument pas comparable à un O-kissaki (pointe très longue, un type courant de kissaki).
En conclusion, plonger dans l'univers du tsurikomi, du shinogi et du niku révèle la complexité et la subtilité de la forge des épées japonaises. Ces éléments structurels confèrent à chaque katana une personnalité unique, alliant puissance, esthétique et fonctionnalité. En explorant ces aspects, nous approfondissons notre compréhension de l'art ancien de la forge japonaise, où chaque ligne, chaque courbe, raconte une histoire profonde de maîtrise artisanale. Que ce soit pour l'appréciation esthétique, la pratique des arts martiaux ou la collection, la découverte de ces éléments enrichit notre lien avec l'héritage fascinant des épées japonaises.