Forge d'une lame de katana
La forge du katana est un art complexe. Si tout, bien sur, n'a pas été inventé au Japon (on estime ainsi que le Tamahagane aurait été crée pour la première fois en Corée, de même il y a eu des trempes dans d'autres civilisations). Il n'en reste pas moins que les Japonais ont su faire évoluer grandement les processus de forge. De leur recherche permanente d'amélioration et de technicité, le katana est devenu l'arme blanche qui reste probablement la plus célèbre à travers le monde. Ces articles visent à mettre en lumière une partie de ces procédés de forge qui ont fait du sabre Japonais cette arme de légende qu'elle est aujourd'hui.
L'acier Tamahagane
Notre Tamahagane : A la création de Artkatana, nous réalisions directement notre Tamahagane nous-même en bas fourneau. Par la suite nous l’avons commandé à l’extérieur, mais après des déconvenues, nous avons reprit une production totalement contrôlée en interne en février 2018.
Les Nihontō étaient en effet forgés à partir de l'acier traditionnel : le Tamahagane.
Le tamahagane de bonne qualité a en général un aspect brillant et argenté, alors que celui de mauvaise qualité sera grisâtre. On peut parfois observer des points oranges, bleus, ou rouges : ce ne sont pas des impuretés mais un résultat naturel d'oxydation lors du refroidissement à l'air de la « Kera » (voir plus bas). Ceci ne remet donc pas en question la qualité de l'acier.
L'acier japonais, aussi appelé watetsu (l'acier européen étant le oranda tetsu) est obtenu grâce à un sable ferrugineux nommé satetsu. Ce sable contient en effet beaucoup de molybdène (empêchant la casse) et provient de la Magnétite (Fe3O4), de la Marcassite (Fe S2), ou de l' Hématite (Fe2O3). Mais outre cette composante positive pour la création d'une lame, ce sable contient aussi très peu de phosphore et de souffre (ce qui évite la casse de la lame). Il en existe deux types en réalité, l'akame de couleur rouille, et le masa ou masago, plus épais, et noir. C'est ce dernier qui contient le moins d'impuretés (phosphore...) et qui donc est le plus recommandé pour la création de lames (Phosphore Akame : 0,04 ; Masa : 0,01 – Souffre : Akame : 0,061 ; Masa : 0,034 – données en proportion massiques réalisées sur un gisement d'Izumo). Ce sable se trouvait en abondance à Hoki et Izumo, où il était de plus d'une très haute qualité. Beaucoup de fourneaux tatara étaient donc présent dans ces régions à l'époque. Le principe de ces fourneaux tatara, aussi appelés bas fourneaux, était de produire un phénomène d'oxydoréduction à partir du carbone provenant du charbon de bois, augmentant ainsi la teneur en carbone de l'acier. Le but est donc d'extraire le fer du satetsu (qui contient environ 1% de fer) et d'en faire un acier à haute teneur en carbone (l'acier est en fait du fer contenant plus de 0,03% de carbone). On obtient alors une incroyable dureté, qui grâce aux avantages naturels du sable ferrugineux, ne sera pas pour autant cassant. Un acier donc qui peut être affûté très efficacement sans risques d'ébréchure (car un taux de carbone trop faible produit une lame qui ne serait pas assez dure pour être très affûtée sous peine de voir son tranchant s'user très rapidement), mais qui pour autant reste souple et absorbe les chocs en ayant un risque de casse raisonnable (car tout « logiquement » le problème est que plus l'acier est dur, moins il absorbe les vibration des chocs et plus il risque de se briser). Un paradoxe dureté/sensibilité à la casse, donc parfaitement comblé par le Tamahagane. Aujourd'hui les bas fourneaux ont été reprit et existent partout dans le monde, mais un seul fourneau d'époque (fourneau tatara) existe encore. Il a été reconstruit par la NBTHK en 1976 à Shimane au Japon, à la place du sanctuaire de Yasukuni où on estime que plus de 8000 lames traditionnelles avaient été produites. Mais même pour les fourneaux tatara, il y eu beaucoup de versions différentes qui évoluèrent avec le temps, on passa du fourneau éphémère devant être reconstruit à chaque utilisation, jusqu'à atteindre une structure semi industrielle et permanente pendant l'ère Edo. En effet, il fallait compter 5 jours pour une opération de réduction : 1 journée pour la construction des parois du four, ensuite on fait brûler du charbon de pin, sur lequel on vient déposer un lit de sable ferrugineux 30 minutes plus tard, avant de mettre une nouvelle couche de charbon 30 minutes après. Le tout brûle 3 heures, et on recommence l'opération. On continue ainsi à alterner des couches pendant 3 jours, permettant au fer du satetsu de se charger en carbone (contenu dans le charbon). Une température de 1200-1500° est atteinte. Ceci permet aux impuretés de s'évaporer (réduction) et au carbone de se fixer. Le dernier jour lui est destiné à l'extraction de l'acier et à son refroidissement. On pouvait ainsi produire en une réduction 2 tonnes de Tamahagane, pour une consommation de 8 tonnes de charbon et de 13 tonnes de minerais. En détruisant les murs du fourneau, on récupère ensuite la « Kera », c'est à dire le bloc produit par la réduction. On trie alors le résultat, car seule la moitié de cette Kera sera en faite du tamahagane (critère de distinction : teneur en carbone de 0,6% à 1,5%). Les 2/3 de cette partie possèdera en réalité un taux optimal de 1% à 1,2% en moyenne, le reste (taux plus faible de 0,6%) étant utilisé pour la fabrication de lames tamahagane composites. Il faut savoir que l'origine du fourneau tatara remonterait au VI ème ou VII ème siècle, et qu'il aurait été inventé en Corée.
Fourneau tatara
L'acier japonais (watetsu) n'aura pas été le seul à être utilisé au cour de l'histoire japonaise. En effet une période d'importation massive d'acier de moins bonne qualité depuis le Portugal et la Hollande (nanbantetsu ou encore hyotantetsu ou konohatetsu) aura lieu pendant l'ère Momoyama (1573-1603).
En conclusion, la forge d'une lame de katana en tamahagane, issu du minerai tatara, transcende l'artisanat pour devenir une alchimie entre tradition et excellence. Chaque étape, depuis l'extraction du minerai jusqu'à la maîtrise du feu dans le tatara, témoigne d'un héritage séculaire. L'artiste forgeron, dans sa fusion avec le fer et le charbon, donne naissance à une lame unique, imprégnée de la quintessence du Japon. La richesse de cette méthode traditionnelle réside dans la connexion entre l'homme et le matériau, créant des katanas qui dépassent le simple statut d'arme pour devenir des œuvres d'art vivantes, portant en elles la force et la spiritualité du samouraï. Chaque lame, forgée avec passion et dévotion, devient ainsi le reflet de l'âme du forgeron et un lien intemporel avec l'histoire prestigieuse des katanas.
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